Au printemps, quand le soleil se fait plus chaud, quand les jours s’allongent, l’arbre sort de sa léthargie pour se muer en véritable usine photochimique. Alors, la sève bouillonnante prend d’assaut le tronc, les racines fouillent le sol pour en aspirer sucs et humidité, et les bourgeons déploient leurs panneaux solaires en forme de feuilles. La fabrique chlorophyllienne est prête à tourner à plein régime!
La photosynthèse, puisque c’est d’elle qu’il s’agit, s’empare de la lumière du soleil pour casser les molécules d’eau (H 2O) livrées dans la feuille par la sève brute. L’oxygène ainsi libéré repart aussitôt dans l’atmosphère sous forme de gaz, tandis que l’hydrogène s’allie au gaz carbonique absorbé par la feuille pour fabriquer des glucides, de l’amidon, puis de la lignine, qui compose le bois. Pour fabriquer un seul kilogramme de bois sec, l’arbre doit piéger le gaz carbonique contenu dans 4.000 m3 d’air! Ainsi, le Séquoia, Sherman Tree dont les 2.000 tonnes font l’arbre le plus lourd au monde, a respiré au cours de sa longue vie un volume d’air qui aurait pu recouvrir la France sur 20 mètres!
Cet incessant va-et-vient de molécules entre les racines et les feuilles se déroule par un réseau de canaux placés sous l’écorce. Pour hisser la sève brute depuis les racines où elle est fabriquée jusqu’à la cime de l’arbre, culminant parfois à plus de 100 mètres de hauteur, il faut pouvoir compter sur une puissance considérable. Celle-ci est fournie par deux moteurs. Le premier est actionné par l’évaporation qui se produit à la surface des feuilles. Suivant l’arbre et les conditions climatiques, cette simple succion peut tirer une colonne de 60 mètres en une heure. Le second moteur prend le relais du premier quand il ne fait pas assez chaud pour provoquer une évaporation. Cette fois, le mécanisme se loge dans les racines dont les cellules, en se chargeant d’ions puisés dans le sol, créent par osmose un appel d’eau qui pousse la sève
Un séquoia peut ainsi hisser 2 tonnes d’eau par jour à 100 mètres de hauteur. Pendant les six mois de printemps et d’été, un chêne rouvre adulte suce 100 tonnes d’eau, soit 225 fois son poids. Une futaie de hêtres de 1 hectare absorbe et rejette dans l’atmosphère 3.500 à 5.000 tonnes d’eau par jour! Cette évaporation massive des forêts du monde provoque un refroidissement de l’atmosphère terrestre. Pour alimenter en flux tendu l’usine chlorophyllienne en eau et en nutriments, les racines ne cessent de s’étendre. Le réseau racinaire d’un arbre de 20 mètres de hauteur exploite jusqu’à 250 m 3 de terre.
A côté de la sève brute, il en existe une autre, dite élaborée, émanant des feuilles et qu’un deuxième réseau achemine vers le reste de la plante. Cette fois, l’écoulement est assuré par un gradient de pression créé par la différence de concentration en substances dissoutes.
Ces deux réseaux qui acheminent les sèves brutes et élaborées sont refaits à neuf chaque printemps. Ce travail est confié au cambium, un tissu cellulaire qui entoure le bois comme un manchon. Il est à double face: vers l’intérieur de l’arbre, il fabrique le bois (aubier), composé d’un entrelacement de cellules verticales qui véhiculent la sève brute et de cellules horizontales (les rayons ligneux) qui stockent les réserves de glucides; vers l’extérieur, le cambium façonne le liber, où circule la sève élaborée. L’écorce possède elle aussi sa propre couche de cellules multiplicatrices fabriquant le liège. Chaque année, l’arbre accumule donc une nouvelle couche de bois, appelée cerne. Au bout de quelques années, les cellules meurent, il ne reste plus que la lignine qui constitue le vrai bois. Celui-ci est donc mort. Ne dit-on pas qu’un arbre n’est rien d’autre qu’un cadavre recouvert d’une mince peau vivante? Le coeur d’un chêne, d’un marronnier ou d’un platane peut donc pourrir et disparaître sans problème. Sinon fragiliser l’arbre, qui, un jour ou l’autre, s’abattra sous son propre poids.
L’usine chlorophyllienne tourne à plein régime jusqu’à l’automne, quand les feuilles jaunissent et tombent. Condamné au chômage technique, l’arbre ne reprendra vie qu’au printemps suivant. Et ainsi de suite durant des dizaines, des centaines, voire des milliers d’années. brute vers le haut